fever ; Grace

Abi était (encore et toujours) dans la foret, cherchant un divertissement quelconque qui lui permettrait de ne pas passer la matinée à etre oisive. Elle en avait quelque peu marre de cette routine qui habitait ses journées et l'empechait de laisser son imagination s'evader. Pourtant, l'imagination n'était pas vraiment ce qui lui manquait le plus, mais elle était en panne d'inspiration depuis plusieurs jours déjà. Ses mondes originaux avaient disparus de son esprit et elle était plus terre-à-terre que jamais. C'était pour cette raison qu'elle s'était elle même autorisée cette escapade matinale, au milieu des arbres, alors que le soleil tardait à se lever, et que l'air était encore froid de la nuit qui avait du se reveler rude.

Elle trottinait tranquillement entre les arbres, se nourrissant de l'air pur, et l'aspirant avec ivresse dans ses poumons qui lui avaient semblé desséchés par une trop longue stoïcité. Mais enfin, elle pouvait de nouveau courir, gambader librement, sans plus se soucier de la société ou de quoi que ce soit d'autre. Et pourtant, rien n'allait se derouler comme prévu, ce qui n'était pas vraiment pour lui déplaire. Abi marchait toujours, et pourtant, elle ralenti son rythme, et raccourci ses foulées, à la vue d'une ombre, un peu plus loin. Et au fur et à mesure qu'elle s'avançait, elle distinguait des traits, une peau, des cheveux.

Une vampire. La puanteur qui lui brulait les narines ne mentait pas, et Abigail fronça les narines d'un air frustré. Elle freina brutalement, non pas effrayée mais méfiante, et néanmoins elle s'apercut aussitôt qu'elle n'avait aps affaire à une Volturi, malgré les yeux rouges qui l'observaient. Mais un vampire representait toujours une menace, quelle qu'elle soit. Cependant, Abigail ne se transforma pas. Elle s'en trouvait momentanement incapable, comme si elle n'avait absolument rien à craindre de cette étrange créature. Ses cellules ne s'affolaient pas, son sang ne se rechauffait pas, et elle restait simplement humaine, bloquée dans sa vulnérable carapace. Et elle s'approchait encore de la jeune femme, ouvrant grand les yeux, jusqu'à se trouver à une distance si proche qu'elle pouvait distinguer le grain parfait de sa peau lumineuse. Elle souffla un infime: «Wouah» qu'elle seule put entendre.

Elle détaillait chaque trait de la jeune femme, laissant son regard divaguer de haut en bas. Elle avait tout d'abord été surprise: elles faisaient environ la même taille, et rien que cet infime détail changeait tout. Abigail n'avait nul besoin de lever les yeux pour la voir, contrairement aux autres personnes qui étaient généralement deux, voir trois tetes plus grands qu'elle. Mais bien au delà de sa taille, tout en elle lui semblait sublime, elle qui n'avait jamais réellement porté attention au physique des gens, et surtout pas à celui d'un vampire. Ses yeux, bien que rouge sanglant, étaient comme hypnotique: irrésistible, magnifique, aucun mot ne pouvait penetrer son esprit completement captivé. Et autour de ces yeux, une peau pale, plus encore que la sienne, une peau de marbre, qui semblait si douce au toucher et si parfumée. Curieuse, elle se mit à pincer, amusée, certains endroits de sa peau, comme une enfant decouvrant l'anatomie humaine. Elle redecouvrait tout un plaisir, elle découvrait les formes d'un visage, caressant presque avec provocation la courbe parfaite de ses lèvres pleines, chatouillant son front caché par de douces meches de cheveux. Elle eut un petit rire niais, accompagné d'un sourire reveur. Elle en comprenait rien à ce qui se passait à l'instant même, elle caressait avec adoration la peau d'une vampire, alors qu'elle aurait déjà du lui trancher la tete. Elle était tout bonnement magnifique, et Abi ressentait une telle attraction qu'elle se sentait totalement incapable de tuer cette magnifique créature qui lui était offerte.

Soudain, dans un dernier élan de curiosité, plein d'innocence et digne d'un enfant d'a pein cinq ans, elle deposa ses lèvres tremblantes sur celles de la vampire, et se recula brusquement, comme si elle avait recu une decharge d'electricité. Elle rigole de nouveau, et deposa de nouveau ses lèvres sur els siennes, avec plus d'intensité, faisant un peu plus durer cet étonnant plaisir. Elle poussa meme le risque jusqu'à glisser sa main dans la nuque froide de la jeune femme, decrivant des cercles tendres sur sa peau parfaite.

Abi eut un violent frisson. La main de la jeune vampire s'était posée sur la sienne. Elle était gelée, et un nouveau frisson, de froid cette fois, vint rejoindre le précédent. Et ce fut bien plus dramatique encore lorsqu'elle se mit à accompagner le doux mouvement de ses lèvres, juste avant de le briser. La jeune rousse eut une moue de deception.


« Nous sommes...si différentes...Pourtant...
- J'aime bien ça. Moi c'est Abigail. Pour te servir. »

Elle pouffa à nouveau, et enleva une meche de cheveux rebelles du visage de la jeune femme, d'un air pensif et songeur, scrutant avec une drole d'intensité la chevelure noisette de la vampire, l'enroulant autour de son index, avant de poser ses yeux sur les lèvres de la divine créature en face d'elle. Elle hésitait, ce n'était pas bien, ce n'était pas dans les règles, et embrasser un vampire n'était certainement pas la meilleure chose à faire. Mais après tout, tout était possible dans son monde et ce n'était pas de fichus préjugés qui allaient la stopper dans ses envies. Alors, avec un haussement d'epaule qui lui était destiné, elle posa de nouveau ses lèvres sur celle de la jeune femme, avec un peu moins d'hesitation cette fois ci.

Une immense vague de fièvre l'envahit soudain, c'était comme un incendie sans limite venait de s'allumer au plus profond d'elle même. Le rythme de son coeur s'accelera de manière infernale, elle pouvait presque sentir le flux de sang dans ses veines, et elle craint quelques instants pour sa vie. Après tout, la fille en face d'elle n'était rien d'autre qu'un vampire, et nullement végétarienne. Neanmoins, ses hormones de louve l'empechait totalement de se controler, et de gerer l'importance des sentiments qui bouillaient en elle. Et elle était encore moins capable de calmer le désir qui grandissait en elle.

Elle déposa ses mains sur les hanches de la jeune vampire, les pressant doucement avec envie. C'était la toute première fois que de telles choses naissaient en elle, elle n'avait jamais ressenti cela, envers personne. Elle avait déjà aimé, mais jamais au delà de l'amour filiale qu'elle portait à Andrew. Elle n'était pas allée au delà de ces frontières de jeunes filles, malgré ses cinquante ans. Elle découvrait tout un systeme et un reseau de sentiment et de sensations ennivrantes, qui occupaient tout ses sens. Elle humait avec plaisir la fragance parfumée de ses cheveux, en dépit de sa puanteur qui marquait leur différence de race, caressait avec douceur et fièvre ses formes electrisantes, rapprochait dangereusement son corps du sien, embrassait avec passion et ferveur l'arrondi de sa bouche, souriant toujours, inconsciente de la dangerosité de ses actions, toute peur et tout ressentiment absent. Son cerveau et son corps n'était plus aux questions, et pourtant, elle finit par se reculer, et elle bondit en arrière, tombant au sol, le souffle court et haletant. Elle s'octroya quelques secondes pour reprendre la respiration qui lui manquait, posant une main sur son coeur battant à un rythme hallucinant, et passant d'un geste faussement desinvolte sa main dans ses cheveux ebourriffés.


« C'est hallucinant. Je suis désolée, j'ai été un peu explosive. Et puis en fait, je suis pas désolée du tout. Je peux bien exploser c'est pas grave. Au moins je serais autre part que sur cette terre de malade, et peut-etre qu je rencontrerai des martiens. »

Elle eut un petit rire, et se releva doucement, avec plus de réserve, attendant de voir sa réaction, et d'agir en fonction de cette dernière. En attendant qu'elle prenne la parole, elle leva les yeux vers la cime des arbres, mimant l'indifférence la plus complete, alors que son coeur battait encore à toute allure et ne se calmait en aucun cas.

A toutes ses precedents paroles, elle resta muette, contemplant silencieusement les traits de Grace. Dans son esprit galopait déjà la scene de la rencontre entre sa meute et elle. Elle n'avait pas peur, Abigail n'avait jamais peur, elle était trop inconsciente pour avoir peur de quoi que ce soit. Mais elle savait que Grace serait un problème pour Andrew, Anita, et bien d'autres. Eux qui combattaient les vampires, jusqu'à leur mort, qui souhaitaient les exterminer, voilà qu'elle allait ramener une vampire à son bras. Elle eut un soupir silencieux qui n'était destiné qu'à elle même, gardant les yeux baissés dans un mutisme presque religieux qui ne lui ressemblait pas. En réalité, c'était la première fois qu'elle avait peur, bien qu'elle n'aie pas peur pour elle, mais pour Grace. Malgré ses capacités vampiriques, elle ne pourrait rien contre une meute de loups enragés, et Abigail n'y pourrait pas grand chose non plus. Elle doutait qu'Andrew ordonne sa mort subite, car il était réfléchie et la tuer representerait un sacrifice. Malgré tout, il se pourrait qu'elle duse quitter la meute pour ne pas y laisser la peau s'il il s'averait qu'elle restait sur ses positions. Ce qu'elle ferait sans aucun doute.

Et alors qu'elle était plongée dans ses funestes reflexions, la voix de Grace retentit à nouveau, la tirant de ses pensées, en reprenant pourtant ce même sujet qui la preoccupait, comme si elle avait lu dans son esprit.

« Tu me promets que tu n'auras pas d'ennui à cause de moi? Si ils essayent de te faire quoi que ce soit, je ne serai plus moi même face à eux.
- Je ne peux rien te promettre. Mais nous verrons bien, ne nous traquassons pas pour quelque chose qui n'a pas encore lieu. »

Mais elles n'eurent guère le temps de penser à autre chose, car Abigail se transforma, et ramena ainsi des milliers de questions sur sa nature, et son futur. Sous sa forme lupine, Abi était si imposante que ses yeux se trouvaient toujours au même niveau que ceux de Grace. Un loup à taille humaine. C'était exaltant mais aussi effrayant pour qui ne savait pas dompter l'animal. Mais en guise d'excuse, elle frotta sa chaude fourrure contre son corps, un geste typiquement animal, pour l'assurer de sa bonne foi et de sa gentilesse. Elle s'accroupit près de la vampire, sachant pertinemment qu'elle ne se retransformerait pas avant plusieurs minutes. Totalement incapable de controler els allés et venus de ses genes, elle devait se contenter d'attendre, d'attendre que son corps réponde à ses envies. Mais en définitive, etre louve n'était peut-etre pas une mauvaise chose, et elle était ainsi persuadée que Grace etait faite pour elle, puisqu'elle ne s'enfuit pas. Ses yeux restaient aimant et captivés, et non pas meprisant comme l'étaient ceux des vampires ordinaires. Abigail eut un petit aboiement de contentement, et planta ses yeux jupins dans ceux de sa compagne, jusqu'à ce qu'elle daigne caresser sa fourrure flamboyante. Elle se mit à ronronner de plaisir, un son proche du roulement d'une pierre, un grondement sourd, qui remontait des trefonds de sa gorge et faisait vibrer ses cordes vocales.

Elle ferma ses paupières, profitant de l'agréable et douce caresse, avant de rapprocher son long museau du visage de la jeune femme, posant son front contre le sien, les babines retroussées en une expression qui aurait pu etre assimilée à un sourire. Et soudain, elle bondit en arrière, la langue pendante, et l'arrière train en l'air, comme un chien aurait fait pour manifester son envie de jouer. Sa queue fouettait furieusement l'air, cinglant les arbres proches, et elle se mit à japper joyeusement, avant de s'elancer plus en profondeur dans la foret, laissant ses pattes courir à pleine vitesse, ses foulées s'allongeant progressivement. Elle se retourna légèrement pour verifier que la vampire la suivait bien, puis accelera a nouveau, slalomant entre les troncs qui devenaient menacants, les oreilles tendues au maximum, et tous les sens en alerte pour reperer le moindre obstacles.

Abigail aurait pu rigoler si elle en avait été capable, mais toute sa concentration était fixée sur la vitesse qu'elle prenait. Elle bondit brusquement, sentant une presence a ses cotés, une simple nuée colorée et irréelle, qui lui indiquait que Grace la suivait. Elle allait trop vite, meme pour des yeux lupins, et elle baissa l'echine afin de prendre plus de rapidité encore.

« Tu as raison, j'aimerais être aussi positive que toi. Tu es si jeune ma petite louve... Tu me redonnes le goût de la vie... Si tu savais comme je t'ai attendue...
- Et moi donc... tu as quel age en fait? Histoire que je sache si tu en es au stade de la momie ou de la poussière. »

Elle eut un rictus d'amusement, mais pas aussi rayonnant que les precedents sourires, car elle se rendait compte de l'etendue du problème. Il était plat, comme un coca sans bulle. Sans saveur ni goût, ce n'était qu'un froncement des lèvres, une contraction des muscles faciaux, un masque qui dissimulait mal le trouble malsain qui s'emparait d'elle. Abigail n'avait pas l'habitude de se preoccuper de quoi que ce soit, elle se moquait des choses qui, d'après elle, concernait les «adultes». Malgré ses cinquante ans, elle se considerait encore comme une enfant, elle ne voulait pas rentrer dans ce monde ou la réalité n'a d'egal que la brutalité des vérités. Elle voulait vivre dans son univers, fait de fées espiègles et d'ogres gloutus qui vivaient dans les forets luxuriantes de son esprit déjanté. Le vrai monde, elle ne l'avait jamais envisagé tel qu'il était, elle se debrouillait pour le rendre plus feerique, et pourtant, aujourd'hui, elle entrapercevait la violence du monde, du vrai. Elle arrivait désormais à mettre un nom sur les «frontières» qui empechaient les plus belles histoires, telles que la sienne. Grace et elle étaient de toute evidence faites l'une pour l'autre, et néanmoins, les codes de la vie empechaient tout lien: elle se haissait, se detestait, et telles étaient les choses. Elles n'étaient pas autrement, et n'étaient pas destinées à l'etre. Abigail en ressentit une profonde tristesse.

Peut-etre ce sentiment d'injustice aida à sa transformation. Cette frustration, se rajoutant au plaisir, à la colère, à l'espoir, ou encore à l'amour et le désir, l'avait littéralement faite exploser, et elle se sentait mieux dans sa carapace animale. Il était plus simple de voir les choses à travers les yeux d'un loup. Sa vision était plus simpliste, plus terre à terre, mais pourtant beaucoup plus joyeuse. Les choses superflues, qui prenaient une importance capitale dans la vie d'une simple humaine, étaient rejetées dans un coin du cerveau, jetées à la poussière et l'oubli, et seules les choses vitales comptaient, et en cet instant, son cerveau était fixé sur Grace. Et ses nouvelles capacités ne l'aidaient pas a rester sobre face à la créature mystique: elle distinguait chaque détail, chaque pore de sa peau, chacun de ses cheveux luisants, chaque piment de ses pupilles avec une cruelle precision. Chacune de ses caresse était une véritable torture, elles provoquaient des frissons qui parcourraient sa fourrure comme une vague, son poil se redressait sur son echine et elle souffrait le martyr de ne pas pouvoir se retransformer en humaine, alors que d'ordinaire, etre louve était une veritable ravissement. Sous cette forme, elle ne pouvait pas l'embrasser, elle ne pouvait pas toucher sa peau comme elle l'aurait souhaité, et ces mains qui parcourrait sa crinière la rendaient plus febrile encore. Elle aurait voulu lui rendre son amour, le decupler même, et elle ne pouvait pas.

Leur course se revela un exutoire, qui lui fit oublier quelques instants sa culpabilité. Ses pattes qui se soulevaient à un rythme régulier mais rapide sous son corps la distrayait quelque peu, elle pensait à sa vitesse, et non à autre chose, et elle en fut soulagée. Cependant, elles eurent vite fait de revenir à la charge lorsque Grace la plaqua au sol. Elles roulèrent quelques secondes sur la terre, et lorsque leur roulade se stoppa, Abigail avait la respiration haletante. Sa langue jaillissait de sa gueule, comme un chien qui aurait trop courru après une balle. Elle aurait pu tuer Grace sur le champ, elle était tellement vulnérable dans cette position que n'importe qui aurait pu l'achever en cet instant fou. Mais elle n'en eut meme pas l'envie, et elle songea avec regret que sa meute l'aurait surement déjà fait. Le rire de la jeune femme la tira de ces pensees saugrenues. C'était un chant, c'était délicieux.

« Tu veux jouer avec moi? Je te préviens, je perds parfois le contrôle face à une aussi délicieuse personne que toi... Ais confiance... Je parle de contrôle amoureux... »

C'en fut trop. Abigail trembla violemment sous l'irrésistible menace, et soudain, elle fut de nouveau humaine, nue comme un ver devant la vampire. Elle se recroquevilla sur elle même, sans rougir cependant, avec un relant de pudeur qu'elle n'avait pas d'ordinaire. Elle contemplait avec envie Grace, sa situation genante étant la seule contrainte qui l'obligeait à rester immobile. Pourtant, son regard ne contenait aucun embarras, elle l'observait, la scrutait, devorrait son visage des yeux, insistante et envieuse.

« Un peu de respect ma petite. J'ai 200 ans, ou quelque chose comme ça, je sais j'ai l'air d'avoir 17 ans, mais officiellement je suis morte à 20 ans. Et toi petit loup? Quelle age tu as?
- Whoua, un veritable cadavre. Moi j'ai une petite cinquantaine, l'age de la ménopause quoi. La stérilité, tout ça. »

Lorsque Abigail se retrouva de nouveau humaine face à Grace, et que celle ci l'observait avec désir et insistance, elle mordit sa lèvre inférieure, presque pour controler ses envies. Le froid venait glacer sa peau nue, elle était frigorifiée, ses lèvres devenaient peu à peu violettes, et ses machoires se mirent à claquer de froid. Et les mains de Grace qui caressaient sa peau n'étaient pas pour arranger els choses, tout d'abord à cause de leur température, qui égalait celle de l'air, mais surtout qui lui donnaient envie de se jeter sur elle et d'oublier le froid, jusqu'à ce qu'il lui vole completement sa vie. Et bien que le fait d'etre un loup-garou rechauffait quelque peu sa peau, elle se sentait completement gelée.

Le regard de grace la glaca encore plus, elle scrutait chaque partie de son corps avec une envie non dissimulée, et pourtant Abigail ne l'attira pas contre elle, comme elle l'aurait souhaité. Elle souffla:

« J'ai froid.... »

Elle rigola un peu, amusée de sa situation. D'un autre coté, peut-etre etait-ce mieux ainsi. Elle ne voulait pas se precipiter avec Grace, elle ne voulait pas rendre ces plaisirs banals, elle voulait profiter, plus lentement, avec plus de reserve, pour la decouvrir patiemment. Tout obtenir à la seconde n'aurait pas été pour lui plaire, et bien qu'elle n'était pas des plus sage et des plus mure, elle jugeait preferable d'attendre, quelque peu tout du moins, bien qu'elle savait qu'attendre serait une veritable torture. Elle scruta les traits de la jeune femme, à la recherche de quelque deception que ce soit, ou bien de colère ou de tristesse.

Elle restai immobile, n'osant se lever, de peur peut-etre de voir un regard trop appuyé de la part de Grace, qui l'aurait sans doute genée alors qu'elle n'avait d'ordinaire peur de rien. En outre, tout mouvement l'aurait forcée à se soustraire à la douce léthargie qui l'avait envahie, due au froid. Elle se mit donc à contempler le paysage environnant, la foret, cet endroit qu'elle affectionnait tellement, avec un air de profonde reflexion. Un fremissement du haut d'un arbre lui apprit ainsi la présence d'un écureuil, et elle songea qu'elle aurait bien aimé etre un oiseau, juste pour pouvoir approcher le soleil et les astres. Après tout, le statut de loup était plus terre à terre, et était inscrit dans la légende. Combien de films avaient mis en scene le terrifiant loup garou, qui mange les humains la pleine lune tombée? Combien de livres avaient disserté sur la forme du loup qui devient homme, et de l'homme qui devient loup? Melange de fascination et de peur, toutes les personnes étaient plus ou moins attirées par le loup. Bel animal mythologique, a l'origine de la vie dans certaines legendes, ils faisaient en quelque chose parti de la vie quotidienne, et cette idée déplut largement à Abigail. Elle n'avait pas envie d'etre banale, de faire partie d'un moule commun. Elle avait toujours tout fait pour etre différente, pour se distinguer des autres, par quelques moyens que ce soit. La différence était pour elle primordiale.

Elle lança un regard étrange à Grace, et lui adressa un sourire tout aussi mystérieux. Puis elle souffla lentement:

« Tu n'as pas une veste à me preter? Je suis congelée. Après si tu veux.. on pourra marcher. Juste pour marcher. Et après... il y aura le jour suivant, et les jours encore suivants, et on pourra se revoir autant que tu voudras, d'accord? »

Elle lui sourit doucement, plus sereine qu'elle ne l'avait jamais été. Elle pensait déjà à toutes ces heures qu'elles allaient pouvoir passer ensemble, à ce qu'elles allaient faire, à ce qu'elles allaient dire, et elle en ressentait un profond ravissement.

« Tu n'es encore qu'une enfant... Tu as conscience d'aimer une grand-mère au moins? Si je ne me trompe pas, le frère que j'ai eu étant humaine a eu des enfants qui en ont déjà eu...et ça sur dix fois... Mais, visiblement ça ne te gêne pas, je me trompe?
- Tu as effectivement raison. Mais tu n'as pas garder des contacts avec eux? Sous une autre identité, bien sûr... Elle se tut quelques instants, puis, grelotant de froid, elle souffla: J'ai froid...
- Excuse moi... J'avais oublié à quel point je dois être gelée..
- Ce n'est pas ta faute, c'est juste la température ambiante. »

Elle sentit vaguement les mains de Grace frictonnait energiquement sa peau, mais cette dernière était trop gelée, et ses sensations en devenaient plus floues. C'était comme frotter les mains d'un mort, ou tirer sur ses cheveux: le geste avait beau être puissant, il ne le sentirait jamais, enfermé dans son éternel bulle de froid, qui ne la quitterait jamais plus. Elle se sentit frustrée de cette interdiction de la nature, et pourtant, elle se mit à rêver. Sa condition n'était peut-etre pas si réfractaire, et peut-etre même qu'il leur serait possible de s'assembler à la perfection. Sa forme animale lui permettait souvent de se rechauffer, et si elle parvenait à trouver le juste équilibre entre humaine et louve, elle reussirait à affronter le froid qui regnait depuis deux cent ans déjà dans le corps de Grace. Un leger sourire vint balayer son visage à cette idée. Elle se savait inconsciente et réveuse, ainsi que pleine d'une imagination plus que débordante, qui frisait parfois l'utopie, mais elle avait à cet instant la profonde conviction que tout cela serait un jour possible, ou du moins qu'elles pourraient au moins l'effleurer. Elle était sure qu'un jour, ca se réaliserait. Il ne pouvait en être autrement.

Un petit «zip» vint la réveiller de ses pensées qui s'emmelaient etrangement, chose surement due au froid qui venait engourdir son esprit. Et ses yeux ecarquillés virent successivement Grace se devetir de sa veste, puis son jean, avec une decontraction hallucinante. Le temps suivant, elle les lui tendit, afin qu'elle les enfile, et elle s'executa sagement, les pupilles toujours rivées sur le corps de la jeune femme, blanc de neige, comme un cadeau au froid glacial qui les entourait toute deux, et qui aurait du la geler, si elle n'avait pas été vampire. Elle, à l'inverse, se rechauffait lentement dans les vetements de Grace, son corps retrouvant sa température habituelle, une douce chaleur qui envahissait ses membres d'un doux reconfort, et l'apaisait. Elle finit par detourner pudiquement le regard de Grace, bien que son cerveau lui commandait de la devorer des yeux. Elle la remercia d'un sourire.

« Enfile ça, je peux te donner mon jeans si tu veux, je n'aurais pas froid, ou je peux aller te chercher tes affaires... Mais cela signifie te laisser seule... Et ça je ne veux pas... Bien entendu, on peut se promener et... On pourra se voir autant que tu le pourras, je n'ai pour ma part aucune obligation. Je ne suis pas étudiante... Encore que je pourrais m'inscrire dans la même école que toi, car si je ne me trompe pas, tu es étudiante non? J'aimerais passer chaque nuit à t'observer dormir. Enfin, si tu dors, ce que j'ignore... Parle moi de toi...
- Ce n'est qu'une couverture, histoire d'avoir quelque chose à repondre aux curieux. Mais je ne vais plus à l'école depuis ma transformation, je déteste trop l'école pour ça, j'en ai trop bavé pour y retourner délibéremment. Elle sourit, puis continua: oui, je dors. C'est bien le seul truc qui m'empeche de bouger, rit-elle. Mais ma vie n'est pas très... interessante. Avant j'étais une pauvre fille qui tentait desesperemment de se braquer contre la société. Elle rit à nouveau. Mes parents ne m'aimaient pas, j'étais trop.... différente je suppose. Et puis j'ai rencontré Andrew, un soir, et il m'a transformée. C'est l'alpha de notre meute, c'est comme un père; il ne me connaissait qu'à peine, et pourtant il m'a de suite aimée, à l'inverse de parents qui ne m'ont jamais appreciée. C'est quand meme bizarre quand on y reflechit. Et maintenant, je l'aide à tuer les volturis. C'est tout. Et toi? »

Elle tourna son visage vers le sien, se remettant doucement de son discours. Elle avait toujours jugé sa vie antérieure ennuyante. Elle été nait le jour de sa transformation, elle avait réellement commencé son existence à ce point clé, et elle songea que la vie tenait à peu de choses. Peut-etre que si Abigail n'avait pas été si étrange, peut-etre que si elle n'avait pas supplié au loup de la transformer, peut-etre que si ce loup n'avait pas été Andrew, peut-etre bien d'autres choses... elle ne serait pas là aujourd'hui, à discuter avec une vampire dont elle venait de tomber inéluctablement amoueuse.